Projet éditorial Hélène, photographies inédites et texte d’Estelle Lagarde. Préface de Brigitte Patient.

Nous nous sommes rencontrées en 2004. Je t’ai abordée avec l’envie de te photographier. Au départ, tu étais mon modèle, au fil du temps nous sommes devenues amies. La photographie a ce magnifique pouvoir de fixer le temps, l’espace, les personnes. Mais les livres davantage encore. Parce que ta vie, ton visage et ta beauté ont été atrocement arrachés au monde le soir du 13 novembre 2015 au Bataclan, ce livre a besoin d’être.

Extraits du texte:

"Notre première séance de photographie a eu lieu quelques jours plus tard, le 11 avril 2004, dans un hôtel miteux du boulevard Magenta. Il existe toujours, et, bien que tant d’années soient passées, à chaque fois que je passe devant ce bâtiment je pense à toi, à cette première fois où l’on a fait des photos ensemble." (...)

"La première maison où nous sommes allées était à Ivry-sur-Seine. Des amis venaient de l’acheter et ils m’avaient suggéré d’y passer avant que les travaux ne commencent. Il y régnait le silence, les courants d’air, et surtout l’étrangeté propre à ces maisons inhabitées. Tu n’étais pas impressionnée. Ta gracile silhouette toute vêtue de noir et rehaussée de talons hauts te conférait une élégance digne qui entrait en dialogue avec les murs décrépis. Ici, le temps s’étirait. Je te photographiais pendant tes pauses-cigarettes, espérant aussi attraper des images différentes de celles que je recherchais." (...)

"Mon téléphone sonne au fond de mon sac à main et je le laisse sonner. J’ai un vieux téléphone et lorsque je le déplie pour voir qui appelle cela décroche automatiquement. Je préfère attendre. De toute façon, si c’est important, on me laisse un message. Puis je sens le vibreur quelques secondes plus tard. Quelqu’un vient de m'en laisser un. Lorsque je rappelle le répondeur, j’entends la voix d’Antoine. Il se présente d’ailleurs, car jamais Antoine ne m’appelle sur mon téléphone. Je l’entends dire : “- C’est Antoine”. Mon pas nonchalant se fige instantanément et je me sens devenir livide. Puis j’entends Christophe à mes côtés, comme s’il avait deviné la suite, murmurer simplement : Bataclan."

Le mot de Brigitte Patient (journaliste) : En découvrant « Hélène » le nouveau livre d’Estelle Lagarde, je pense à un autre écrit « Politique de l’inimitié » d’Achille Mbembe aux Editions La Découverte : « la politique de l’inimitié s’infiltre dans les pores et les veines de toutes nos sociétés... » Au quotidien, un étranger qui frappe à notre porte reçoit en premier lieu un regard froid sans parole. La photographe Estelle Lagarde aborde dans le métro une femme. Ce mouvement vers l’Inconnu / l’inconnue dans les transports parisiens est, au 21ème siècle, un acte héroïque. L’histoire photographique qui se déploie ensuite sur des années entre ces deux femmes est profondément troublante, belle et tragique puisqu’elle s’interrompt au Bataclan. Je vous propose de vivre l’amorce de cette rencontre mais surtout la création photographique qu’elle a fait naître ». (...)

Le mot d'Olivier Bourgoin (directeur de l’agence révélateur) : « Hélène » est un projet particulier, très particulier dans le travail d’Estelle Lagarde. La traversée d’un pan de son travail photographique, entre complicité artistique et histoire d’amitié. J’ai très peu connu Hélène, même si son visage, son élégance, son regard franc et profond habitent de nombreuses mises en scène photographiques. L’évidente complicité entre deux femmes réunies par le jeu et l’art. Au point, pour moi, de leur trouver une étrange ressemblance… « Hélène » est une formidable histoire artistique et humaine. Profondément humaine. En images et en mots. http://www.agencerevelateur.fr